mercredi 25 octobre 2023

Éloge du recul, le «bébé COVID» de David Crête: à la défense de la pensée critique

 

Dans son récent essai Éloge du recul, paru en août dernier, le professeur de marketing David Crête se pose en défenseur de la pensée critique. Le recul, celui qui permet justement cette pensée critique, serait une «compétence à se réapproprier», comme un rempart contre la propagande et les idées polarisantes qui ont dominé le discours public ces dernières années, selon lui, notamment durant la pandémie de COVID-19.


Cet essai, c’est en quelque sorte le «bébé COVID» de son auteur. «En janvier 2021, j’ai écrit un texte qui s’appelle Éloge du recul et qui a été publié dans La Presse. Là, on est en pleine pandémie et c’est ce qui devient vraiment le début du projet», rappelle l’auteur.

«Au Québec, on n’est pas tellement familier avec l’essai. Mais ça m’a permis de décortiquer certains thèmes en m’appuyant sur des auteurs que je pense crédible», dit-il.

Dans une séquence de douze petits chapitres, l’auteur remet en perspectives différents événements qui ont marqué l’actualité pendant l’état d’urgence sanitaire. Si la pandémie avait, par définition, une ampleur mondiale, il en traite d’un point de vue bien québécois.

En s’appuyant sur des auteurs de la philosophie classique et moderne, David Crête pose un regard critique sur notre réponse collective à la pandémie tout en entrouvrant la porte sur ce qu’elle aurait pu être avec un peu de recul devant les événements. Mais comment prendre du recul au moment où l’on gère une crise inédite? La question reste entière.

L’éthique en question

Dans ce livre, David Crête aborde des thèmes comme la communication, la liberté d’expression, la manipulation, la peur, la résignation, et se risque même à un chapitre critique de la pensée «woke». Pour ce faire, l’auteur emprunte le chemin des sciences sociales, de la psychologie et de la science du marketing, lui qui a d’ailleurs une formation en éthique appliquée.

Pour lui, la recherche d’un consensus a tout prix a dominé la gestion politique de la crise: «Avoir un regard critique sur la gestion de la pandémie, c’était extrêmement difficile. Ceux qui ont essayé, ils se sont fait taper sur les doigts», dit-il en donnant l’exemple de Marc Lacroix, médecin de Québec et du professeur Patrick Provost à l’Université Laval. «Moi, où je fais une nuance, c’est que ce n’est pas parce que tu as un regard critique que tu es nécessairement contre», soutient-il.

Selon l’essayiste, la culture du consensus qui est observée au Québec nuit à l’exercice de la pensée critique. «Au Québec, ça a l’air qu’on est très consensuels, Jean-Marc Léger nous le dit depuis très longtemps: on n’aime pas les débats. Alors qu’au niveau de la pensée et de la réflexion, il faut être davantage dans le dissensus pour avancer. Je ne suis pas certain que le consensus qu’on recherche souvent fait vraiment avancer la pensée», exprime-t-il.

David Crête en convient: le gouvernement du Québec n’avait d’autre choix que de miser sur l’obéissance de la population pour juguler la crise en santé. Dès lors, diverses techniques de marketing ont été utilisées. «On peut penser que beaucoup de décisions du gouvernement ont été influencées par McKenzie. Mais, en faisant un travail de pensée critique, on peut se dire: quand le gouvernement doit gérer une crise comme celle-là, c’est exceptionnel. Il n’y a pas un politicien qui a été formé pour gérer une affaire de même», dit-il en faisant référence à l’enquête journalistique de Thomas Gerbet sur ces contrats.

En plus du recours à des firmes de consultants externes au gouvernement pour encadrer le message, l’état québécois est allé jusqu’à l’implantation d’une loterie vaccinale pour forcer la main aux récalcitrants. «Au plan éthique, pour moi, ça c’est très discutable: utiliser une telle technique de marketing pour une question de santé», considère l’auteur.

Consensus: les effets pervers

Cette recherche d’un consensus et de l’obéissance aux mesures prônées par la santé publique n’est pas sans effets pervers, estime David Crête. « La majorité du monde, on restait chez nous. Dans un cas comme ça, le gouvernement n’avait pas le choix de miser sur l’obéissance des gens. Mais quand quelqu’un désobéit, alors que les autres obéissent, en général on n’aime pas ça». Ce qui a donné lieu à une certaine marginalisation, voire à l’humiliation de certaines franges de la population, attisant leur colère.

«C’est toute la question: est-ce que ces gens-là qu’on a appelé des coucous, des tatas, etc., avaient le droit de penser ce qu’ils pensaient à ce moment-là? Dans un cas comme ça, est-ce que tout le monde est obligé de suivre le consensus? Mon malaise est beaucoup plus là», indique-t-il.

Il donne l’exemple de la restauratrice de Saguenay qui a décidé de laisser son restaurant ouvert avec le service aux tables, défiant une directive gouvernementale. «Cette femme-là, est-ce que c’est une folle? Est-elle inconsciente? C’est quoi ses raisons?», interroge l’auteur, en entrevue. «Il peut y avoir plein de raisons. C’est pour ça que je parle de la colère. Avant de les crucifier, ces gens-là qui ne suivent pas le consensus, on peut tu essayer de comprendre pourquoi ils agissent de la sorte? Pourquoi il y en a qui dévient du consensus?»

L’auteur et professeur plaide d’ailleurs pour un enseignement systématique de la pensée critique tout au long du cheminement scolaire, que ce soit dans le programme du cours Culture et citoyenneté québécoise, qui remplace déjà Éthique et culture religieuse, ou ailleurs. Car, déplore-t-il, même ses étudiants en fin de baccalauréat n’auraient que peu de notions sur la méthode à appliquer pour exercer sa pensée critique.

«Ce matin je leur ai présenté des exemples de l’actualité très récente qui comportent des problèmes moraux ou éthiques. Vous faites quoi avec ça? Pour les entraîner un peu à cet exercice.» L’exemple en question concerne le Carrefour 40-55, qu’il expose dans une tentative de trancher un enjeu où des valeurs s’affrontent. Dans ce dilemme entre le développement économique et la préoccupation écologique, ni l’approche relativiste ni la pensée radicale ne pourront faire avancer la réflexion, estime le professeur.

«Quand on est dans la pensée critique et le recul, il faut suspendre un peu notre jugement, le temps de faire notre travail de compréhension». La pensée critique ne ferait toutefois pas partie du coffre à outils de ses étudiants de niveau universitaire, ce qu’il déplore.

Les intellectuels absents du discours public

D’un même souffle, David Crête déplore le peu de place qu’occupent les intellectuels, au Québec, à l’avant-scène du débat public. Alors qu’en France, pendant la pandémie, on a donné la parole à des psychologues, des sociologues et des philosophes, et pas seulement à des médecins. «C’est sûr que leur discours est important pour comprendre. Mais c’était une crise sociale, et il aurait fallu qu’on entende des penseurs d’autres disciplines»

Mais après les générations des Gérard Bouchard, Normand Baillargeon et autres penseurs qui ont marqué le Québec en transformation comme Guy Rocher, il estime que les intellectuels ont abdiqué leur droit à la parole publique. «Pour prendre la parole aujourd’hui, ça prend un certain courage. Je pense qu’il y a beaucoup de profs qui n’osent pas sauter dans l’arène, de peur de se faire épingler et critiquer», dit-il. Il dénonce d’ailleurs une tendance des institutions universitaires qui poussent les chercheurs et professeurs à se retrancher dans une sorte de surspécialisation.

Ce que souhaite l’auteur de cet Éloge du recul, c’est certainement que l’on puisse tirer des leçons de cette crise encore récente, afin de mieux s’outiller pour les suivantes. À commencer par celle des changements climatiques.

«Ce qu’on commence à voir, c’est des spécialistes qui s’expriment en disant: il y a une saturation qui est en train de s’installer chez beaucoup de monde, parce qu’on en parle de façon quasi hystérique avec des manchettes souvent alarmistes. Les gens décrochent, et à ce moment-là les gens se mettent à moins écouter et à moins comprendre». Il voit là un enjeu de communication.

Le défi demeure donc de trouver, oui, des spécialistes qui peuvent exposer les enjeux de manière objective et neutre, à qui le public peut accorder une entière crédibilité. Mais aussi de faire en sorte qu’on donne la parole à celles et ceux qui sont en mesure d’élargir les perspectives, en prenant un pas de recul, devant les enjeux qui définissent notre avenir collectif.

Pour cela, il faudrait recommencer à exercer ce muscle de la pensée critique. «J’espère qu’il y a une relève», dit-il en parlant de ces intellectuels qu’on voit et entend trop peu, selon lui. «Surtout aujourd’hui avec tous les enjeux, ça m’apparait plus nécessaire que jamais. C’est peut-être un peu idéaliste, mais ça en prend un peu d’idéalisme, si on veut survivre.»

(Par Jacinthe Lafrance, Le Nouvelliste, 24 octobre 2023)

mercredi 1 septembre 2021

Eloge du recul - pourquoi ? (audio)

J'explique en quelques minutes les raisons qui motivent à développer ce thème de l'éloge du recul.


ou



dimanche 29 août 2021

Manipulation ?


Éloge du recul. Pourquoi ? Pour ne pas perdre notre discernement, notre jugement, notre sens critique. Pour ne pas devenir anesthésié. Pour tenter de comprendre les choses, les dessous, les mécanismes. Souvent, très souvent, les vents contraires sont puissants. L’exemple d’Edward Bernays est parlant.


Bernays est reconnu pour être le père des relations publiques. En 1928, il publie Propaganda. Il conseille politiciens et industriels. Une sorte de Machiavel. Il a notamment conseillé le président Wilson au moment où les USA entrent dans la première guerre mondiale. Mais petit hic, la population n’en veut pas de cette guerre. Bernays arrive à la rescousse et met en place une vaste opération pour convaincre et manipuler l’opinion: recours à la communication, au cinéma, à Charlie Chaplin, aux messages fort négatifs dépeignant l’Allemagne, bref l’artillerie lourde. Et ça fonctionne.


Plus tard, son client, un fabricant de cigarettes, voudra augmenter ses ventes. Mais comment faire ? Seulement les hommes fument, beaucoup trop inconvenant pour la femme. Mais les femmes sont en plein combat pour le droit de vote, vers 1917. Bernays saisit l’opportunité. Lors de la traditionnelle parade de Pâques à New York, il embauche des figurantes cigarette à la main. Le lendemain, on en parle partout. Un succès. La cigarette deviendra le symbole de l’émancipation féminine en plus d’être la parfaite représentation du phallus, semble-t-il. Il faut mentionner que Bernays est le neveu de Freud. L’inconscient n’est jamais bien loin…

Bernays explique aussi le rôle du « gouvernement invisible ». Une expression qui aujourd’hui sonne légèrement complotiste, c’est vrai. Mais son idée fait du sens. Bien des choses arrivent jusqu’à nous sans que nous en connaissions la provenance exacte: idées, tendances, modes, produits nouveaux, etc. etc. Tout ça m’est « imposé » par des inconnus qui forment un petit groupe qui décide pour la majorité. On l’a bien vu pendant la pandémie. Nous avons appris qu’une quinzaine de personnes à Québec, dont plusieurs stratèges en communication, décident de chacune des actions sanitaires qui sont imposées. Leur travail est discret, elles sont inconnues de la population. Les dictatures imposent le contrôle par la force. Dans une démocratie, c’est plus subtil, nous dit Bernays. Comme si le rôle de cette « force invisible » était d’ordonner le chaos, de le prévenir en manipulant l’opinion et en imposant une sorte de ligne directrice par le biais de tout ce qui arrive jusqu’à nous. C’est Bernays le premier qui invente le titre de « conseiller en relation publique » étant donné que le mot propagande a maintenant une connotation négative. Quand un mot devient impopulaire, on le remplace par un autre souvent politiquement correct, édulcoré. Vieille tactique. Ce ne sont plus des CHSLD mais des maisons pour aînés. Ce ne sont plus des sourds mais des personnes malentendantes.

Bernays est influencé par le Français Gustave Le Bon qui écrit La psychologie des foules en 1895. Il nous dit notamment que les foules ne sont pas influençables par des raisonnements. Elles pensent par images. L’imagination populaire joue un rôle puissant, surtout pour les gouvernants. Une technique fort utilisée pendant la pandémie alors qu’on manipule beaucoup l’émotion: l’image du malade intubé aux soins intensifs, ces morts dans des camions réfrigérés, les enfants masqués, grand-mère isolée parlant aux enfants derrière sa porte-patio. Les médias, qui inexorablement jouent le jeu en défendant le droit du public à l’information, amplifient la situation, servant cet objectif de « manipuler l’opinion ». On « fabrique le consentement » pour reprendre le titre du livre de Chomsky et Herman (1988). Le Bon parle aussi de la puissance magique des mots et des formules: ça va bien aller, le vaccin c’est la liberté, zone rouge, couvre-feu, barrages policiers, etc. Ces mots et ces expressions ne surgissent pas au hasard. Ils ont un but. L’auteur nous rappelle que la foule préfère les illusions aux vérités. C’est la possible fin du confinement si et si, le possible petit party, la levée des restrictions si nous sommes vaccinés. Finalement, c’est à se demander si le politique a intérêt à ce que la population pense et réfléchisse. Le divertissement est formidable pour nous en éloigner. Il est d’ailleurs ironique que François Legault, rappelez-vous, permette aux tournages de séries et de téléromans de se poursuivent. District 31 était sauvée.

Finalement, parmi les techniques servant la manipulation, il y a des valeurs assez sûres. D’abord, la peur…oui, encore elle. Puissante parce qu’elle est associée à la sécurité. Vous avez peur ? Le gouvernement va vous protéger avec différentes mesures. Cette peur est aussi associée à la mort, une fatalité que nous craignons. Les clivages sont aussi efficaces : gauche-droite, vaccinés-non vaccinés. Les dirigeants ont un intérêt à les entretenir. De cette façon, il y a peu de place pour la nuance et la réflexion. On est dans un camp ou dans l’autre, point. Comme un dogme. Enfin, le désir. Comme il ne faut pas raisonner, on entretient notre désir des choses, des jours meilleurs, d’une vie rêvée. La publicité l’a compris depuis longtemps. Freud parle de désirs enfouis dans notre inconscient mais qui nous font agir, prendre telle ou telle décision. Ça aussi, Bernays l’a bien compris. C’est la lotto-vaccin.

Tout ceci démontre qu’il ne faut pas être dupe. En introduction de son ouvrage, Bernays résume bien sa pensée :« Nous sommes pour une large part gouvernés par des hommes dont nous ignorons tout, qui modèlent nos esprits, forgent nos goûts, nous soufflent nos idées. C’est là une conséquence logique de l’organisation de notre société démocratique. Cette forme de coopération du plus grand nombre est une nécessité pour que nous puissions vivre ensemble au sein d’une société au fonctionnement bien huilé. »

C’est dit.

   

jeudi 19 août 2021

Éloge du recul

 

                                                                               


Le Québec a une tradition intellectuelle qui s'essouffle. On entend peu ceux qui développent une véritable pensée, qui prennent de la distance avant de s’exprimer. L’opinion n’est pas de la pensée. Pourtant, cette pandémie regorge d’exemples pour lesquels on aurait bien besoin de comprendre le pourquoi. Pourquoi tel groupe agit de telle ou telle façon ? Pourquoi certains partent en voyage ? Pourquoi certains ne veulent pas du vaccin ? Pourquoi certains ont fêté en groupe à Noël ? Au lieu de tenter de comprendre, on attaque, souvent avec violence. On leur colle des étiquettes d’idiots, de tatas, d’irresponsables, de nombrilistes et des pires. Ces attaques sont-elles révélatrices de qui nous sommes ? D’un Québec consensuel qui digère mal un comportement contraire à la majorité ? Pourquoi avons-nous de la difficulté à accepter que d’autres agissent différemment de nous ?  

On pourrait se souhaiter, pour 2021, d’être moins sur la défensive et davantage à l’offensive avec des arguments fondés, un peu plus réfléchis. Tenter de comprendre le pourquoi des comportements aide grandement. Ceux qui n’agissent pas comme la majorité ne sont pas tous des débiles. Les dérapages surviennent souvent sur les réseaux sociaux, c’est vrai. Il faut se méfier de soi lorsque nous sommes derrière un clavier. On perd notre jugement comme si le cerveau ne s’était pas encore adapté aux contacts virtuels.

Nous aimerions peut-être que l’humain soit constamment rationnel. Mais ce n’est pas le cas. L’économie comportementale le démontre depuis longtemps. Une décision, ne pas se faire vacciner ou voyager, par exemple, peut se prendre sans connaître les conséquences réelles, par manque d’information, en empruntant des raccourcis, un phénomène connu en psychologie. L’émotion et l’intuition peuvent jouer un rôle dans nos décisions, décisions que nous regretterons peut-être plus tard. Il faut également mentionner que nous avons tous une tolérance au risque qui diffère d’un individu à l’autre. Ce niveau de tolérance pourra influencer notre motivation à poser un geste ou non.

Les attaques que nous constatons depuis plusieurs mois visent des minorités. Le cas des voyageurs dans le sud est le plus révélateur. La conformité est pourtant une force puissante. Nous avons une tendance naturelle à imiter les autres même si nous ne l’admettons pas consciemment.  Les autorités doivent d’ailleurs s’en réjouir les mesures sanitaires étant largement suivies. Mais l’amplification des médias et des réseaux sociaux est telle que nous avons l’impression qu’un phénomène est généralisé alors que ce n’est pas le cas. Remettons en perspective. Dans ce cas-ci, en réalité, peu de Québécois ont quitté le pays pour le sud. Il est certain que notre entourage joue un rôle, cette influence sociale pouvant nous conforter à poser des gestes, à prendre une décision ou une autre. Si en plus nous avons tendance à aimer se distinguer, à être différent, nous prendrons sans doute une décision qui va à l’encontre de ce que fait la majorité.

 Il faut reconnaître que l’époque est à l’émotion. Nous avons l’impression que les mauvaises nouvelles s’accumulent, l’expression de la peur étant partout. Tout le temps. Cette peur peut avoir un effet pervers, celui de pousser certains à poser des gestes qui semblent irrationnels : peur du vaccin, de retourner à l’école, écœurantite et désabusement menant au voyage, à se voir en groupe, etc.

C’est pour tout ce qui précède que nous devrions faire davantage l’éloge du recul. Et le pratiquer.    

    

 

mercredi 7 octobre 2020

Avons-nous échappé la communication ?

 


On le sait, en temps de crise la communication est essentielle. On dit aussi qu’il faut apprendre d’une telle situation. Mais est-il trop tôt pour jeter un regard, disons préliminaire, sur cette communication COVID-19 des autorités et des médias ? Non. D’abord, retournons un peu en arrière. En 2014, le virus Ebola s’invite aux États-Unis. Des cas sont confirmés sur le territoire, le premier étant apparu à Dallas, des citoyens ayant été en contact avec des porteurs ou porteurs potentiels.  Dans certains états, des parents retirent leur enfant de l’école. Des psychologues affirment alors ne pas être surpris par la peur exacerbée de certains.

La perception du risque est au cœur de cette réaction apeurée. Dès l’annonce de l’apparition du virus, tout était en place pout alarmer : il peut être fatal, il est invisible et s’en protéger n’est pas simple, nous y sommes exposés sans le vouloir et ce n’est pas clair si les autorités sont en contrôle. Le niveau d’anxiété est évidemment plus élevé lorsqu’on ne connaît pas la menace, qu’elle est nouvelle. La perception du risque sera plus faible si cette menace est familière, comme la grippe par exemple. Un virus qui tue pourtant bien des individus chaque année. La perception du risque est d’ailleurs l’un des facteurs jouant sur l’adoption ou non d’un vaccin par la population.

Pour tenter de contenir cette peur, une communication honnête, d’une source crédible, est cruciale. Les autorités marchent ici sur un fil de fer. Elles doivent expliquer les risques, indiquer comment agir sans toutefois alarmer. Elles ne peuvent donc pas se permettre de perdre cette crédibilité. En 2015, il a été reproché aux médias d’alarmer, d’exagérer. Le professeur Baruch Fischhoff disait dans un billet publié par l’American Psychological Association : « Les médias américains ont tendance à trouver - et à faire connaître - des comportements aberrants, contribuant à perpétuer un mythe selon lequel les gens ont tendance à réagir à une crise par la panique. » Et chez nous, actuellement, la couverture médiatique étant telle, voit-on une forme d`alarmisme, d’exagération ? Les autorités démontrent-elles un contrôle de la situation ? Le retour du point de presse quotidien est-il une bonne chose ? Les journalistes posant parfois des questions très précises auxquelles le premier-ministre, les ministres et le directeur de la santé publique n’ont pas de réponse. Cette confusion devrait pouvoir être évitée. Elle n’a rien de rassurante.

Ceci souligne l’épineuse question de notre tolérance à l’incertitude. Durant la crise du H1N1 en 2009, des chercheurs de l’Université Carleton d’Ottawa ont mené une enquête. Elle démontre que les individus qui tolèrent moins bien l’incertitude sont plus anxieux et, surtout, croient moins pouvoir faire quelque chose pour se protéger. 

Les médias sont évidemment des sources d’information privilégiées en temps de crise. Entre 1900 et 2006, près de 16 000 désastres et crises de toutes sortes auraient été rapportés. De quoi alimenter l’information. Dans bien des cas, la santé publique joue un rôle. Dans une étude, parue en 2007, Wilson Lowrey et ses collègues, provenant de divers départements comme journalisme et santé publique, mentionnent que des critiques émanent de conseillers en santé publique. Ils reprochent aux médias deux choses. D’abord, le grand besoin des médias de publier et de diffuser constamment amène à focaliser sur des détails et des événements que les experts estiment être non importants, hors sujet et parfois inexacts. Ensuite, les histoires rapportées peuvent manquer de profondeur, de contexte, n’aidant pas à mieux comprendre la situation. Aurions-nous ces mêmes commentaires ici ? Nous sommes sans doute en présence de deux groupes qui saisissent mal le travail et les impératifs de l’autre. C’est pourquoi les chercheurs recommandent qu’un certain nombre de journalistes soient formés à la réalité scientifique voire à celle de la santé publique.

Une chose est sûre, la panique n’est pas bonne conseillère. S’assurer de demeurer en contrôle est primordial même quand la pression est forte.     

 

  

samedi 23 mai 2020

Peur et confiance, soeurs ennemies


La peur comme stratégie. Avoir recours à la peur pour provoquer un changement de comportement n‘est pas nouveau. L’état l’utilise dans des campagnes portant, par exemple, sur les dangers du tabac ou de la vitesse automobile. Au Québec, c’est la voie que le gouvernement a décidé d’emprunter depuis mars. Consciemment ou non.

Émotion dite négative, la peur naît quand un individu réalise qu’une menace se pointe et le met en danger. Elle est donc parfois très utile. Mais elle ne peut avoir un caractère permanent. La vie deviendrait invivable. Avec le point de presse de 13h, le gouvernement a voulu maintenir la communication avec les citoyens et c’est la chose à faire en temps de crise majeure. Effet pervers évident, cependant, découlant de cette manière de gérer. Les propos répétés, jour après jour, sur la mort, la catastrophe des CHSLD, la détresse psychologique appréhendée, les risques de faillite, la récession, les ados abandonnés, le manque de matériel de protection, ont maintenu la population dans un état de peur soutenu. Il est donc normal de voir des enseignants craindre le retour à l’école ou des citoyens de diverses régions ne pas vouloir des Montréalais. Qui plus est, il ne faut pas minimiser le travail des médias qui deviennent des amplificateurs de la réalité. Tout ceci crée un climat fortement anxiogène.

Alors, comment réagir ? La peur comme facteur de persuasion étant étudiée depuis 1953, on comprend un peu mieux ses effets. Certains affirment que le niveau de peur doit être suffisant. S’il est trop faible, aucune motivation à modifier notre comportement. S’il est trop élevé, l’individu va tenter une stratégie de défense pour se soulager. C’est peut-être le cas de ceux et celles qui ont manifesté, ici et ailleurs, contre le confinement.

Respecter le message est aussi une façon de réagir. Ainsi, on peut diminuer la peur ressentie et éviter le danger. Ou, à l’opposé, minimiser le danger, dénigrer le message qui nous paraît exagéré. Toutes des réactions que nous avons pu constater depuis le début de la pandémie. Les craignant, les autorités ont donc martelé le même message, le Dr. Arruda allant à plusieurs reprises jusqu’à nous «supplier» de suivre les consignes. Grosso modo, pour que le message soit efficace, la menace doit être assez forte, susceptible de se produire et la solution pour y échapper doit être jugée efficace et réalisable. De là les fameuses consignes de salubrité. Le décompte des victimes, en temps quasi réel, montre bien que la menace est susceptible de se produire. On nous le rappelle sans cesse. Les chaînes d’information l’indiquant même à l’écran en permanence.

Sans vouloir être trop machiavélique, il semble bien que plus l’intensité de la peur est forte, plus les intentions de modifier nos comportements soient élevées. Comme quoi le gouvernement, dans sa vision des choses, devait maintenir un niveau de peur élevé. Il faut constater que la stratégie a fonctionné, les Québécois ayant bien répondu aux consignes en étant, oui, dociles.

Mais maintenant, le vent change tranquillement de côté. On «déconfine». Réparer la confiance devient crucial. Peur et confiance ne font pas bon ménage. Il faut détricoter plus de deux mois de messages et de communication sur la peur. Apaiser les émotions négatives est un ingrédient important tout comme exprimer une certaine bienveillance. Il faut également que le gouvernement démontre une compétence, des aptitudes convaincantes à la restauration d’une situation un peu plus normale. L’atteinte d’une vulnérabilité amoindrie en dépend.     
       

vendredi 21 octobre 2016

«Ton esti d'char»

- Comme si on allait brailler pour un crosseur qui veut tout sans payer.
- Ainsi la vie, on paie toujours pour les imbéciles.
- Si tu frappes kkun sans assurance le clown c qui qui va payer ?
- Assure le ton esti de char…voyons réfléchis un peu.
 
Ce sont quelques commentaires qu’un étudiant a encaissé cette semaine sur Facebook après avoir demandé conseils sur la manière de récupérer sa voiture retenue par les policiers. Ces commentaires violents et abusifs sont plutôt courants sur les médias sociaux. On y a tous été confronté à un moment ou à un autre. Les personnages publics doivent apprendre à vivre avec et, malheureusement, monsieur et madame tout-le-monde également. Mais qu’est-ce qui explique qu’un individu puisse être aussi brutal ? La montée en popularité d’Internet, depuis plus de vingt ans, a plongé le monde dans un univers, dans un contexte virtuel où les repères sont bien différents de la vraie vie. Dans ce monde virtuel, notre comportement diffère du bon vieux face-à face, notre langage aussi. Cette présence virtuelle mène à moins de culpabilité, à moins d’embarras et donc à une crainte moins grande d’être rejeté. On se permet alors des propos plus durs. En face-à-face, le contexte fera qu’on adaptera ces propos. Les réactions de l’autre, le lieu et la présence d’individus, par exemple, feront que nos paroles seront plus tempérées. Dans le virtuel, les barrières tombent. Le cerveau n’a pas les informations du réel permettant d’adapter notre langage. Tout est là pour des propos impulsifs et irréfléchis. Difficile d’effacer comme ça, du jour au lendemain, toutes ces années d’évolution.     

Il faut aussi préciser que les hommes et les femmes ne s’expriment pas de la même manière. En général, les hommes laissent tomber la censure plus fréquemment et usent d’un langage plus hostile (flaming en anglais). Les femmes, elles, sont davantage dans une forme de politesse. Plusieurs études tendent à démontrer cette tendance. Bien entendu, les exceptions sont possibles.   

Ces commentaires négatifs diffusés sur les médias sociaux peuvent être dommageables, particulièrement chez les adolescents. Les garçons, semble-t-il, en recevraient davantage. Leur style de communication étant différent, ils sont plus prompts à critiquer et à insulter. À cet âge, plusieurs recherchent des sensations ce qui peut les pousser à publier des propos, des vidéos et des photos qui mèneront à des commentaires peu élogieux. Les filles, elles, risquent plutôt de s’attirer des propos hostiles à la suite de la diffusion de photos ou de vidéos d’elle-même, de leur corps, de leurs vêtements, bref de situations où elles se mettent en scène. Mais heureusement, une faible proportion d’adolescents reçoit des commentaires négatifs. Toutefois, ces commentaires peuvent avoir un impact dévastateur chez celui ou celle, par exemple, qui éprouve une estime de soi vacillante.    

Finalement, comme les propos violents peuvent être contagieux, un premier pourra en entraîner d’autres. Voilà pourquoi il faut être sensible à leur impact et apprendre à les gérer. Et surtout, savoir qu’il y a toute une psychologie qui se cache derrière.