jeudi 11 novembre 2010

Créativité et publicité: où en sommes-nous ?

La semaine semble propice au questionnement. Hier soir, on présentait à Montréal et à Ottawa les meilleures publicités 2010. Des experts s’interrogeaient aussi sur les bons ingrédients requis pour gagner un Lion à Cannes. La question de fond : sommes-nous encore créatifs ? La créativité a-t-elle changé ?
De 1977 à 2007, le Wall Street Journal a publié des entrevues avec 120 publicitaires et leaders dans le domaine. Ces entretiens apportent un éclairage fort intéressant sur l’état des lieux. Je tente ici de résumer leurs propos.
La créativité fascine et intrigue depuis longtemps. Elle demeure l’étincelle qui sert à bâtir les ponts entre l’annonceur et le consommateur. La créativité, même si elle reste très personnelle, est soumise à d’incroyables forces externes provenant de notre environnement. Des forces qui ont certes le pouvoir de la dénaturer. Malgré tout, une situation, un problème quelconque, doivent incuber assez longtemps dans la tête du créatif pour aboutir à une idée, à une solution. Cette idée, et ce n’est pas banal, sera traduite en message et reçue par le consommateur. La créativité est requise et nécessaire à tous les stades de réflexion et de création. Pour les agences, rien n’a changé, selon Harry M. Jacobs Jr. Elles doivent accoucher d’idées efficaces qui innovent et excitent. Les «Big Ideas» sont toujours de mise.
Autre élément à considérer : la publicité est redevable. L’impitoyable ROI (retour-sur-investissement) ne pardonne pas. Il prend de plus en plus de place. Certains avancent même l’idée de ne jamais confier une campagne à un MBA puisqu’il ne sait pas comment évaluer une idée. Notre course folle à la mesure met-elle en péril la créativité en éliminant la prise de risque ? Les annonceurs plus jeunes voient bien souvent la publicité comme une science. Sans doute un danger, c’est certain. De là la lubie de vouloir la mesurer et l’évaluer de manière «scientifique». George Lois disait : «If advertising is a science, I’m a girl. The business is about talent and ideas and the art of selling.»
La pression du temps joue également. Le temps pour créer diminue sans cesse. L’attente du ROI y est sans doute pour quelque chose. Les lancements de marques et de produits se font aussi rapidement, dans des délais souvent très courts. La technologie, elle, apporte une aide précieuse. Mais sommes-nous devenus esclaves, préférant passer du temps à fignoler plutôt qu’à élaborer l’idée ? Pourtant, le temps est nécessaire à la gestation et à l’incubation. Une idée marine avant d’émerger.
Les entretiens démontrent aussi clairement toute la difficulté à rejoindre le consommateur. La fragmentation des médias éparpille le consommateur. Les médias sont nombreux et souvent encombrés par la publicité. Cet encombrement l’amène à développer des réflexes d’évitement, l’information étant trop intense. Plusieurs s’entendent pour dire que l’idée, la bonne, est plus nécessaire que jamais pour se démarquer dans un tel environnement. Question : le média avant l’idée ou vice versa ?
Tout ce contexte de surabondance publicitaire a mené à une sorte de cynisme de la part des consommateurs. Plusieurs détestent la publicité et encore plus grave, ils y sont indifférents. En plus, un consommateur sceptique est davantage porté à la détester et à la repousser. Des solutions ? Mettre l’emphase sur l’exécution pour créer un lien émotif et sur l’aspect visuel. Par contre, le message doit passer. L’exécution ne doit pas se faire au détriment de la persuasion.
Les consommateurs perçoivent de plus en plus les marques comme étant semblables. Il s’installe une sorte de parité entre elles. Phénomène inquiétant. La publicité, et la créativité, demeurent deux outils pouvant permettre une bonne différenciation. Mais l’encombrement publicitaire rend ce travail de différenciation très difficile et délicat.  Ceci sans oublier le contrôle qu’exerce aujourd’hui le consommateur sur les différentes marques. S’il s’en empare, tout est possible, le bon comme le mauvais. William Rosen affirme : «Only the most engaging and value-creating ideas have a chance of succeeding (…) the consumer is now truly the king.»  
Ce bref résumé de 120 entretiens démontre bien que l’environnement exerce une force quasi impitoyable sur la publicité et surtout sur les frêles épaules de ses acteurs. Plus que jamais, il faudra être créatif pour survivre…
Pour voir certaines des meilleurs publicités de 2010 http://lucdupont.blogspot.com/2010/11/sur-limportance-de-la-creativite-en.html
Source: Ashley, Christy and Jason D. Oliver (2010), «Creative Leaders», Journal of Advertising, 39,1.








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